Choix de la langue
Soumis par Claude Beaunis le 11/07/13 – 10:42

LA LECTURE, CETTE INCONNUE
pour une approche différente à la dyslexie et des troubles du rythme d'apprentissage

Giancarlo Cavinato

« Lire c'est s'aventurer dans d'autres mondes
possibles. C’est s'interroger sur la réalité pour mieux la
comprendre, prendre ses distances avec le texte et adopter une position critique face à ce qui est dit et à ce qu'on voudrait dire, c’est accéder au statut de citoyen dans le monde de la culture écrite. » (Delia Lerner)

Physiologique ou pathologique?
« Je porte un lourd fardeau, il y a des années que je le traîne. Je suis dyslexique », dit un garçon de première année de l'enseignement secondaire à une bénévole qui le suit quelques après-midi pour l'aider dans sa scolarité.
«Je n'y peux rien ! Je suis dyslexique! » se justifie un autre, réprimandé par l'enseignant pour comportement incorrect.
« Puisqu'il y a des problèmes de langage, l'institut sélectionné dispose d'une préparation adéquate susceptible d'accueillir et de traiter les enfants atteints par ces difficultés », écrit le parent d'un enfant de première année contraint d'obtenir l'autorisation de changer pour un établissement plus adapté à la suite des conseils de l'orthophoniste (privé).

On observe beaucoup d'agitation lorsqu'il s'agit de troubles d'apprentissage.

Souvent, on met en cause la manière dont le premier apprentissage se met en place. Et on désigne un accusé à qui on fait porter de lourdes responsabilités : la méthode globale, incriminée parfois pour la fabrication de plusieurs générations de dyslexiques ou, plus modestement, de «mauvais lecteurs».
Mais la méthode globale a-t-elle réellement été pratiquée en Italie ?

Ferruccio Deva, linguiste de Turin, à l'occasion d'une intervention dans la revue « L'école et la ville » dans les années 80 décrit une étude quantitative réalisée sur 1025 classes de première année d'école élémentaire lors de l'année scolaire1984/1985, a montré une prédominance absolue des « méthodes mixtes » dites analytiques ou synthétiques (67,08%), puis des méthodes synthétiques ou phoniques-syllabiques (21%) et a fait état d'un faible pourcentage de méthodes analytiques ou globales (9,6%).
L'utilisation de la « méthode mixte » que Gabrielli a appelé «méthode naturelle» (qui n'avait rien à voir avec la méthode naturelle de Freinet d'origine française, mais qui était, entre autres, tout à fait contre nature ....) reflétait une situation typiquement italienne de non-décision dans ses choix : cela satisfaisait tout le monde et ne dérangeait personne.
Cette situation n'a absolument pas changé avec le temps.
Et les résultats se traduisent aujourd'hui encore en termes d’« illettrisme », ( cf Tullio De Mauro, linguiste).

Notre hypothèse est que, bien plus que la méthode globale dont l'usage est limité, ce sont d'autres facteurs qu’il faut interroger.
Il y a des enfants qui risquent d'être étiquetés comme dyslexiques, alors que leurs difficultés d'apprentissage de l'écriture peuvent avoir pour origine l'attente excessive des parents ou des enseignants, ou des conditionnements liés à une longue tradition. Faire peser le poids des attentes et des inquiétudes excessives (« à Noël il devrait être capable d'écrire », « pourquoi fait-il encore autant d'erreurs ? » « Dans l'autre classe ils sont plus avancés ... » « Et s'il avait un problème ... ») peut inhiber les processus fragiles mis en œuvre dans l'apprentissage. Celui qu'on encourage à chercher et qui voit ses essais pris en compte avec intérêt et ses insuffisances momentanées considérés comme phénomène normal d'approche des compétences a beaucoup plus de chances de réussir que ceux qui sont contraints de s'adapter à un modèle et ont constamment peur d'être dans la disqualification et l'erreur.
Être étiqueté, considéré comme « en retard », « lent », « inattentif », « probablement à problèmes » a toujours des effets secondaires non négligeables : peur, anxiété, évitement de la tâche ... L'angoisse d'un enfant augmente lorsqu'il sent que ses tentatives sont perçues comme des « erreurs » ; il devient tendu, irritable, s'arrête sur les petits détails, craint de plus en plus de se tromper.
Pourquoi, après tant de recherches et d'expériences (1) n'a-t-on toujours pas admis l'idée selon laquelle un processus d'apprentissage, basé sur des capacités logiques, relationnelles et linguistiques (langue parlée) complexes, est différent pour chaque enfant et nécessite pour chacun des temporalités différentes que l'école ne peut ni uniformiser ni accélérer selon sa volonté ?
Ainsi donc, souvent, celui qui a besoin de seulement plus de temps pour accomplir son parcours et de plus de respect de ses processus naturels est contraint par les Fourches Caudines des évaluations spécialisés et des diagnostics.
La comparaison avec l'apprentissage de la marche est désormais monnaie courante : comment se fait-il qu'on ne s'attache pas à un âge précis pour lequel l'enfant "doit" apprendre à marcher et qu'on ne se soucie pas de ce que cela se produise à 15 mois plutôt qu'à 12 ? Comment se fait-il que l'on soit convaincu du fait que l'âge auquel un enfant apprend à marcher n'aura aucune conséquence sur ses compétences futures ? Comment se fait-il qu'en attendant que cela arrive on continue à se contenter de ménager un environnement stimulant et autant d'encouragements et qu'il ne vient à l'idée de personne d'essayer d'accélérer le processus par un enseignement systématique débridé ?

Dans le cas de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture en revanche, trop souvent, la prise en compte des processus, le respect des rythmes, l'intervention sur l'environnement pour le rendre stimulant et motivant (on n'apprend pas à lire et à écrire si on ne fait pas l'expérience des possibilités extraordinaires offertes par ces moyens) sont remplacés par l'intervention spécialisé qui empêche la recherche et identifie comme des « erreurs » les inévitables incertitudes des parcours.
Souvent la prise en charge rééducative dans un centre spécialisé n'aide pas, en dehors de ce centre, à restaurer la confiance nécessaire pour lire avec fluidité, sans laquelle il n'y a pas de compréhension. Souvent le fait de continuer à ne pas répondre aux attentes, malgré les séances d'orthophonie individuelles, produit un grand désarroi, un manque de confiance en soi et de la frustration causés par le fait de ne pas être en mesure de répondre aux attentes de façon adéquate. Les adultes eux-mêmes ne comprennent pas pourquoi, une fois la pathologie identifiée, les thérapies ne donnent pas les résultats escomptés.
Nous assistons aujourd'hui à une prolifération de diagnostics de la dyslexie, de préoccupations familiales, d'indications et contre-indications adressées aux enseignants, à la production d'une réglementation détaillée, à la diabolisation de la pauvre « méthode globale », quasiment absente de nos écoles, comme nous l'avons vu.

Un processus délicat
Les difficultés d'apprentissage de la lecture sont indéniables, mais elles sont physiologiques, en relation avec les processus complexes et fragiles en jeu. Selon les stratégies adoptées, elles peuvent être résolues, au moins partiellement, ou, au contraire, renforcées.
Nous parlons, bien sûr, de vraie lecture, c'est à dire de construction de sens à partir d'un texte (la pédagogie Freinet et la méthode naturelle nous recommandent de le faire dès le début, dès le premier apprentissage).
Ces processus complexes sont en grande partie indépendants de la capacité à déchiffrer et oraliser (lecture à haute voix). Pourtant, les évaluations et les diagnostics de la dyslexie sont souvent fondées seulement sur ces aspects, les moins significatifs et les moins profonds.
La recherche des éléments du processus de lecture qui entrent en jeu dans la dyslexie a longtemps été négligée.
Cependant, la recherche neurologique avait mis en évidence avec Carl Wernicke, psychiatre et neurologue allemand, en 1874, que le lecteur dispose de deux canaux perceptifs pour accéder à la signification de la langue écrite : une voie « visuelle » par laquelle la forme écrite est explorée pour y trouver le sens à l'aide d'indices, grâce à la mémoire, au contexte, à l'espace, aux similitudes et aux différences perceptives, aux connaissances préalables, à des représentations mentales. L'autre voie est celle de la « phonologie», par laquelle l'écrit est converti en une représentation sonore à partir de laquelle le sens est trouvé.
C'est dans les années 70 qu'est identifiée la voie impliquée dans la dyslexie. Il s'agit de la voie phonologique : les enfants dyslexiques ont des difficultés pour traduire le mot écrit en une représentation phonologique par des processus d'analyse et de synthèse vocale.
Ils disposent cependant d'une « voie visuelle » qui n'est pas altérée et qui permet d'accéder au sens des mots, même si la « voie phonologique» est compromise en raison du déficit de la mémoire à court terme.
C'est ainsi qu'une pédagogie de la lecture basée sur les moyens d'apprentissage restés intacts chez les dyslexiques (méthode du « regarder, réfléchir, comprendre ») devrait s'avérer à la fois plus simple et plus avantageuse que des méthodes qui tentent de contraindre les enfants s'en tenir strictement à la correspondance graphème- phonème.
Il est vrai que les enfants sont généralement très vite capables d'apprendre seuls les règles de correspondances tandis que le dyslexique a besoin d'aide pour accéder à la signification d'un mot à partir de sa forme écrite. Il faut donc un enseignement individualisé qui permette des associations continuelles, par l'exploration visuelle restée intègre chez les dyslexiques, entre la forme écrite d'un mot, une expression, une phrase et son sens. Cet enseignement doit être fondé sur de multiples stratégies, y compris, comme pour quiconque, celle, fondamentale, qui consiste à lire de bons textes à l'enfant (cf Teberosky)
Smith, Richaudeau, Foucambert et d'autres chercheurs ont montré que la voie visuelle assurait plus solidement la lecture efficace ; ils concluent que la dyslexie n'est pas, comme beaucoup l'ont affirmé, l'effet d'un enseignement par des méthodes globales ou naturelles (encore moins répandues) mais, au contraire, celui d'un enseignement de la lecture qui vise la compréhension mais en insistant trop et trop exclusivement sur la maîtrise des correspondances graphème-phonème.
Le caractère illusoire de ce présupposé est facile à montrer : nous pouvons connaitre la correspondance signe-son de l'alphabet de n'importe quelle langue, grec, latin, sanscrit, anglais, basque, etc., mais si on ne connait pas les formes des mots-référant nous n'accédons pas au sens de ce que nous pouvons oraliser.

Une association appelée «Pédagogie familiale » fait parvenir aux écoles, la communication suivante:
«Aujourd'hui, en Italie, 30% des enfants sont diagnostiqués comme porteurs de troubles spécifiques de l'apprentissage. Nous nous réjouissons du fait qu'avec nous des hommes et des femmes de science et d'expérience, des instituts scientifiques, des associations culturelles, des enseignants et des parents, soulèvent des questions sur cet étrange et récent phénomène de dépistage de masse et sur la « prise en charge sanitaire » plutôt que par l'enseignement. Mettant l'accent également sur le paradoxe des dégâts causés par un « diagnostic » superflu et donc nuisible. En Italie … l'Enseignement n'est pas suffisamment repensé ... Il existe des études scientifiques qui montrent comment l'incompréhension linguistique se répand de plus en plus (T. De Mauro) et ce n'est pas une maladie des étudiants mais plutôt une carence de l'Enseignement et de la Méthodologie ».

Nous retenons, en substance, que se pencher à nouveau sur la pédagogie et l'enseignement de la lecture permettrait de prévenir efficacement les « incidents » qui semblent se multiplier.
Il est plus que jamais nécessaire, avant tout, d'être attentif aux premiers apprentissages, de prendre à nouveau connaissance du potentiel offert par la méthode naturelle (très différente de la méthode globale qui, elle, propose des étapes prédéfinies), une non-méthode qui respecte les parcours individuels, différents les uns des autres en termes de rythmes et de modalités :
«Une des erreurs les plus répandues consiste à juger de l'efficacité d'une méthode selon la rapidité avec laquelle les enfants apprennent à lire et à écrire. Il convient au contraire de garder à l'esprit que la meilleure méthode ne consiste pas à faire apparaître plus tôt certains résultats superficiels, mais permet plutôt d'atteindre ce même résultat grâce à une acquisition intériorisée, et pour y parvenir, il n'est pas toujours bon (c'est même, selon moi, toujours mauvais) d'accélérer le rythme : il faut laisser un temps de maturation nécessaire à l'enfant selon sa nature. De sorte que la meilleure méthode est celle qui, tout en fournissant l'aide personnelle nécessaire, permet à chacun d'aller au moment où il le faut et jusqu'où il faut en fonction de ce que permet sa nature propre.
(Giuseppe Tamagnini, circ. Interna 1, Coopérative Printing Press à l'école, Octobre 1952)

Règles de prévention
1 - La lecture silencieuse
L'écrit est un langage pour l'œil que l'activité de lecture, qui est une activité de recherche, structure progressivement.
Nous devons dépasser cette focalisation exclusive sur l'enseignement des sons pour laisser place à la formation de stratégies idéovisuelles. L'éducation du lecteur est, en effet, très différente et beaucoup plus complexe que la formation du déchiffreur, même si le déchiffreur fait preuve de rapidité dans l'oralisation, cela ne signifie pas que la lecture suive automatiquement, à savoir la construction de sens à partir d'un écrit comme conséquence "naturelle" à cet acte.
Nous devons rapidement faire un choix parmi des méthodes et des parcours qui conduisent à la production de sens et qui ne se limitent pas à la production de sons.
La lecture est aussi un acte social et intersubjectif ; on lit des messages écrits intentionnellement par un émetteur pour des destinataires, qui doivent en reconstruire le sens. Mais le sens ne peut être attribué arbitrairement et de façon individuelle, c'est le résultat d'un pacte social, d'une convention ; donc s'il n'y a pas confrontation, négociation, partage, il y a pas de construction de sens et la lecture est réduite à une activité mécanique vide de sens.
C'est grâce à des expériences de groupe (la « coopération interprétative ») que la compétence se voit structurée.
La lecture silencieuse permet d'accéder directement au sens sans passer par le déchiffrage et l'oralisation : le circuit est plus court, il va de l'œil au cerveau ; en sonorisant, le circuit devient œil - bouche / oreille - cerveau. Cela demande donc un effort accru qui implique un ralentissement et, pour les plus «faibles», se traduit par un effort considérable, de sorte qu'ils ne vont pas au-delà du déchiffrage, et ce sans avoir eu accès à la construction du sens.
Pourquoi choisir « d'évaluer » la lecture par un procédé (la lecture à voix haute) qui rend son approche plus difficile ?
Dans l'oralisation il est interdit de sauter un mot, de deviner (sachant que même l'anticipation du sens suffit pour comprendre).
La lecture silencieuse permet d'accéder directement à l'information (et à l'émotion sous-jacente) en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.
Qu'est ce qui empêche la lecture silencieuse de se propager largement à l'école ?
Peut-être la lecture à haute voix rassure-t-elle plus l'adulte qui a ainsi l'impression de garder le contrôle ?
2 – La « gymnastique de l’œil »
Certaines recherches en neurophysiologie ont montré qu'un lecteur «expert» lit avec succès trente mille mots en moins d'une heure, parce qu'il parcourt rapidement la page en se focalisant sur le sens plutôt que sur la succession de sons. Un « déchiffreur » en lit moins de deux mille.
L'œil parcours la page écrite en fixant des « empans visuels », des parties de mots ou d'expressions, environ 10-15 signes, par exemple : « une porte verte », « le bruit du vent ».
En passant d'un empan à l'autre, en se déplaçant, l'œil ne voit pas mais le cerveau a le temps d'établir des connexions ; quand il fixe un empan, l’œil regarde, reconnait, envoie le message au cerveau. Celui-ci peut également émettre des hypothèses et anticiper. Par exemple en regardant « ils ont joué une par... » on peut supposer, par anticipation, qu'il s'agit d'une partie.
Notre tâche consiste à promouvoir ce type de lecture grâce à laquelle on devient progressivement plus performant grâce à l'augmentation de l'amplitude des mouvements oculaires. On peut favoriser l'acquisition de compétences en lecture « visuelle » grâce à différents « jeux »: lire en miroir, de haut en bas et vice versa, en cercle, en diagonale, de gauche à droite et de droite à gauche, en présentant des groupes de mots sur des panneaux qui sont rapidement soustraits au regard laissant la place à d'autres et encourageant ainsi une lecture au « un coup d'œil».
3 - La lecture de l'adulte
Il est fondamental que les adultes lisent de bonnes histoires. Cela permet « d'enseigner » les tonalités, les émotions, les pauses, la respiration des mots ; cela provoque de la fascination et fait jouir de la beauté issue de la cohérence et de l'intégralité des récits. Cela permet d'accéder à des univers. C'est un moyen de rendre la lecture passionnante.
Celui qui écoute quelqu'un lire, en particulier un récit, est déjà lecteur, en quelque sorte, parce qu'il accomplit certaines opérations fondamentales identiques à celles qui sont nécessaires à la lecture autonome : il identifie des séquences de mots qui constituent un sens, ce qu'on n'obtient pas en faisant la somme des sens des mots pris séparément ; il garde en mémoire les différentes séquences de sens pour construire et reconstruire progressivement un sens global ; en regroupant les indices, il émet des hypothèses sur la suite de l'histoire, il compare parfois son hypothèse à ce qu'il entend par la suite ce qui l'oblige à des réajustements ; il découvre parfois que les mêmes éléments sont désignés par d'autres mots (le renard, l'animal, le tricheur …) ; il intègre le rythme, l'intonation, les pauses comme des éléments porteurs de sens ; il élabore des images ; il mémorise des images et des événements qui peuvent être reconstruits et reformulés en d'autres termes ; il réagit aux stimulations par des émotions : plaisir, rejet, empathie avec un personnage, suspens, peur, satisfaction ...
4 - Comprendre le sens
Pour qu'un texte soit compris il est indispensable que le lecteur ait à sa disposition certaines informations de base : tout d'abord une certaine connaissance de la situation dont il est question. Pour comprendre une histoire qui a lieu dans la Rome antique, par exemple, où il est question de temples et de vestales, de Sénat et de termes, d'esclaves et de chars, certaines connaissances sur la vie quotidienne de cette époque et de cette ville sont nécessaires.
Il est essentiel, ensuite, que soit connu le sens de la plupart des termes employés ; il faut être attentif au fait que lorsqu'on travaille avec des enfants et même de jeunes étudiants, des termes simples et évidents pour nous sont souvent méconnus par eux. Pour qu'il y ait compréhension il faut établir une gradation dans la présence dans les textes de termes éloignés de la pratique de la langue orale.
Mais il y a d'autres « écueils » qui rendent la compréhension difficile.
Par exemple, les référents, à savoir les différents mots qui, de temps à autres dans un texte, peuvent désigner le même élément (par exemple un personnage célèbre de la littérature est appelé, tour à tour, «la nonne», « Gertrude », «la pauvrette», «la misérable» ... c'est toujours la même personne et c'est évident pour un lecteur averti. Ce n'est pas le cas pour un lecteur inexpérimenté ou pour un enfant, souvent en difficulté même face à des textes simples si un enseignant attentif n'accompagne pas sa réflexion.
Et puis il y a les expressions qui renvoient à d'autres parties du texte et obligent à des rapprochements pas toujours faciles à faire : par exemple, si je lis « il le lui avait dit », je dois me demander qui avait dit quoi et à qui, en mobilisant la mémoire des séquences narratives précédentes.
On peut trouver par ailleurs, en particulier dans les dialogues, des éléments déictiques, c'est à dire des expressions qui se réfèrent à une situation en dehors du texte (par exemple, « il pensait qu'ils se seraient rencontrés là-haut »).
Il est important de proposer des entraînements à une lecture attentive qui vise la compréhension, soulevant même des problèmes à résoudre rendant la relecture obligatoire. Un problème intéressant peut consister, par exemple, à rendre obligatoire une lecture de type inventaire, en faisant la liste des personnages, des lieux où se déroule l'histoire et des temps. La relecture est une pratique fort utile.
D'autres opérations aident à la compréhension comme la paraphrase (refaire une construction en utilisant d'autres mots) et la synthèse qui conduit à repérer les informations importantes.
Travailler en équipe, avec la possibilité de discuter et de prendre en compte différentes hypothèses ou d'autres solutions est certainement la meilleure des stratégies. On peut « jouer » à reconstruire le texte original : la synthèse faite par un groupe est communiquée à un autre groupe qui ne connaît pas le texte original et qui est ensuite chargé de développer. À la fin on compare le texte de départ, la synthèse et le développement et on peut identifier les « sauts » d'informations qui donnent lieu à des interprétations partielles et à différentes reconstructions. Par souci de concision, le groupe est contraint de rechercher les stratégies les plus économes pour éviter les redondances et transmettre les informations essentielles.
Un type de synthèse intéressant est la nominalisation. Il s'agit de réécrire une histoire en utilisant uniquement des substantifs, des termes plus abstraits que les termes d'origine (par exemple, au lieu d'écrire « le chasseur s'est perdu dans les bois » un groupe peut trouver la formule « égaré dans les bois » ; au lieu de « à la fin l'enfant fut retrouvé », on peut écrire « les retrouvailles avec l'enfant »).
Une autre activité permet de développer la synthèse et la compréhension : il s'agit de la subdivision en séquences (qui peut être faite de différentes façons, en acceptant différents critères ; il n'est jamais approprié d'imposer un modèle rigide) et du titrage des séquences (ou de la recherche de différents titres pour un même texte : le titre représente le maximum de synthèse possible, la recherche d'un titre est une opération logique complexe et très utile).
Une lecture qui s'attache au sens permet de faire des inférences, permet de déduire, c'est à dire produire des informations qui ne sont pas explicites dans le texte.
La capacité à faire des inférences, qu'il est opportun de stimuler, permet également de produire des hypothèses, grâce au contexte, sur le sens ignoré des mots isolés.
5 - Les points de référence personnels
Principalement lors des premières phases de l'apprentissage, mais aussi par la suite, afin de faciliter la mémorisation et le repérage de significations, il est important d'identifier les caractéristiques visuelles du texte.
Il est important que les différentes parties soient clairement reconnues, les ruptures entre l'une et l'autre, les dialogues éventuels ...
Le type de caractère, les changements de couleur, les espacements (on peut changer de ligne pour chaque unité de sens), la présence d'images, la position d'un texte sur le mur (s'il est exposé), ... constituent autant de références qui favorisent la mémorisation et l'apprentissage.
Chaque enfant a, toutefois, ses propres références, c'est à dire des éléments sur lesquels il s'appuie pour construire du sens, et on peut l'encourager à les expliciter. Cela peut être la couleur, la forme, la longueur des mots, l'emplacement dans un livre ou sur un mur, le souvenir du moment où le texte a été produit ou dévoilé, la reconnaissance de parties communes avec d'autres textes ...
L'apprentissage est plus facile si on garde à l'esprit que l'écrit est une langue pour l'œil et que les séquences porteuses de sens sont mieux mémorisées que les séquences ou les signes dépourvus de signification et pour lesquels on ne peut trouver aucune motivation pour apprendre.
6 - Les jeux d'hypothèses et d'anticipations
On peut jouer avec les débuts, les fins, avec des textes à trous (textes avec des mots manquants à « deviner »). Il existe de nombreuses façons d'encourager une lecture non linéaire et séquencée mais plutôt à base de sauts, d'aller-retours, de parcours à l'intérieur du texte, pour susciter des questions et éviter le gaspillage d'énergie produit par une reconnaissance linéaire et laborieuse des lettres et des syllabes.
La lecture d'histoires, de contes, de récits par l'adulte permet de s'habituer à «percevoir» s'il s'agit d'un conte de fée, d'une chronique, d'une comptine, ... Essayer de retrouver le texte dont il s'agit, reconnaître le type de texte, tout cela favorise la formulation d'hypothèses et la compréhension. Intérioriser une grande diversité de situations narratives permet d'intégrer des scénarios, des schémas de référence, des séquences.
Même l'habitude de lire des images aide à structurer la capacité à lire de manière experte. Des histoires sous forme d'images séquentielles, avec ou sans sous-titres, à projeter ou à suspendre aux murs, créent des habitudes d'analyse, de mises en connexion, incitent à imaginez la suite.
7 - La pratique de la lecture fonctionnelle
Tous les textes ne se lisent pas de la même manière. Nous n'utilisons pas les mêmes stratégies pour lire un roman, une notice d'appareil électroménager, une recette, un horaire de chemin de fer ...
On parcourt les textes à des vitesses différentes en fonction de ce qu'on y cherche et pour lire, il faut d'abord un projet pour orienter sa recherche (divertissement, émotion, information précise, indications pour faire ou utiliser quelque chose, ... )
Selon notre projet, la lecture peut être analytique ou globale, lente et précise ou rapide et superficielle, avec des va-et-vient ... ou continue selon les textes utilisés. Toutes ces situations sont des situations de lecture fonctionnelle, c'est à dire de lecture à des fins précises, pratiques. Il s'agit donc de lecture authentique et ces situations devraient avoir droit de cité à l'école en lieu et place des « entraînements » vides de sens. Des situations de jeu peuvent opportunément permettre de se familiariser plus tard avec la pratique de la lecture fonctionnelle : découvrir le contenu de billets, de règlements, de consignes, consignes à parcourir en silence et à exécuter ensuite en laissant les autres deviner ce qui était écrit. Toutes ces activités sont liées à un usage fonctionnel de l'écrit.
De la même manière, il peut être très utile d'avoir l'habitude de lire des notices pour construire un objet, respecter les règles d'un jeu ou organiser une activité.
En conclusion, lire consiste également à sélectionner, s'arrêter sur ce qui est utile et mettre de coté ce qui ne nous intéresse pas, sauter parfois le mot qui n'est pas compris pour en déduire le sens grâce au contexte.
Il s'agit de bien autre chose, donc, qu'une opération mécanique.

(Traduction de Léonard De Leo à partir du texte en italien)